Québec

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Tu as grandi sous l’algue noire, né du ventre sourd de l’écho. Tu t’es fardé les yeux très tôt à même les couleurs lointaines, trempé tes cils à l’haleine du matin. Tu baptisais les coups de vent : les jours passaient plus vite. Tu t’es vêtu, chiffons clairs, poches pleines. Lucioles au repos. Tu découpais les soirs inquiets aux ciseaux dentelés : ça faisait plus joli. 

Tu t’es nourri longtemps de viande maigre, de salin et d’absence; t’es dressé seul contre le continent. Ta peau est terne, tes yeux brillants, ton cou se rompt sous le poids de tes fantaisies. Trop jeune, en retard et sans bagage, ton île t’appelle, pourquoi pars-tu?

Je cherche la ville aux bras forts. 

*

Tu dis la mer pour dire le fleuve, car tu ne connais que l’immense. Tu comprends peu de choses, outre le sens de l’eau qui coule. Tu dis je monte. 

Les eaux contrariées te tourmentent. Les oies jalouses feignent la blessure. Tu ne mords pas. Tu rames. Ta main effleure les berges. La tentation d’échouer achève ton canot. 

Tu passes de l’autre bord. 

*

Sur les routes arides, ta tignasse rallonge. Pour personne tu hurles des chansons démodées. 

Un faon, un pneu, ton souffle. 

Tu as la voix des oiseaux soûls, la démarche joyeuse de l’enfant sans sommeil. 

Un pylône, deux musaraignes. 

Tu cherches un synonyme pour le mot fleur

Carcasse de voiture, croix de chemin, de moins en moins de vent et pourtant les feuilles se soulèvent. 

Coupe à blanc, bouteille vide, l’horizon se referme entre tes yeux tout neufs. Le monde rétrécit, tu le tiens dans ta main; ton cœur va déjà mieux. Les feuilles en vol si peu de vent, entends.

Kepac, Gepe’g. L’odeur de la pierre. Kepe:k. Le cap, si haut. Kephek, Kebec. Non, pas de vent. Quebecq, Québec (1). Voix qui soulèvent les feuilles.

*

Chez toi, il y a trois rues; l’une d’elles porte ton nom. Ici, elles sont nombreuses et se tortillent, vilaines, comme les ruisseaux. Elles tissent de leurs noms des histoires bigarrées :

« Les Cigales Vaillantes, prenaient leur Pause sur la tête des Bolets, admirant Laurelou, Belle-Dame aux Diamants, qui dansait la Pastourelle sur les battements du Pivert, alors que leurs Camarades, les Ormes du Grand-Pré, marchaient jusqu’à la 6e Aurore…»

Les rues te perdent, estompent les contours de tes rêveries. Passé présent tu dis pas important puisque tout crie tu dis tout crie en moi en même temps. Alors tu tends les bras à cette ville étrange, burlesque, tendre, qui d’un seul coup t’ouvre ses murs. Tu t’y blottis serré et t’abandonnes à sa folie. 

Autour de toi, des clochards font la roue dans leurs habits de juges. Une drag queen au teint poudreux dit son chapelet à l’envers, escortée d’une meute de grands chiens. Un orchestre d’éboueurs émerge des poubelles, jouant un air baroque. Les ministres de l’Assemblée broutent les pissenlits devant une assistance d’enfants ravis. Les militaires ont enfilé leurs plus belles robes à froufrous. Dans un grand rot de bière, la foule expie tous ses péchés, ses misères, ses violences. Québec retourne à l’origine.

Kepac, Gepe’g, Kepe:k, Kephek, Kebec, Quebecq, Québec. Détroit. Passage mémoriel.

Québec, la dérobée, la colonisée, la disputée, l’occupée, l’incendiée, l’expansionnée, la célébrée, la solidarisée, l’aliénée, la mythifiée. 

Québec, la fortifiée, t’accueille entre ses bras musclés, toi l’orphelin des kilomètres, roi vagabond, enfant brisé. Ne cherche plus ailleurs la démesure, une ville t’offre une étreinte à habiter. 

Alycia Dufour

 

(1) Note de l'autrice : Les graphies du mot Québec qui se retrouvent dans ce texte proviennent du site de la Commission de la toponymie du Québec. Elles sont issues réciproquement des langues algonquiennes (abénaquis, mi’gmaq, innu-aimun) et du vieux français. Sans vouloir constituer une liste exhaustive, l'autrice fait appel à ces nombreuses variations pour faire sonner poétiquement le mot Québec à travers les époques et les langues; rendre hommage à ces voix diverses qui ont nommé la ville et qui, par conséquent, l'ont modelée à leur image. Pour plus d'informations : « Québec », Commission de toponymie

Béatrice Paradis-Lebel (Potit Pierrot)

English

You grew beneath the black algae, born from the echo’s muffled belly. In time you painted your eyes with the colours of a distant land, fanned your lashes in the morning sand. You baptized the breeze: the days passed ever faster. You dressed in pale rags, pockets full. Fireflies at rest. You cut out the anxious evenings with pinking shears: it was prettier that way. 

You fed for ages on lean meat, salt and absence; you stood alone against the continent. Your skin is dull, your eyes bright, your neck breaking under the weight of your whims and fancies. Too young, running late and free of baggage, your island is calling you. Why are you leaving?

I seek the city with strong arms. 

*

You say the sea when you mean the river, since you know nothing but the immense. You understand few things, apart from the direction of the current. You say upstream. 

The troubled waters torment you. The jealous geese feign injury. You do not take the bait. You paddle onwards. Your hand brushes the riverbanks. Your canoe cannot fight the temptation to run aground. 

You move to the other side. 

*

Along the dusty roads, your hair grows longer. You belt out old songs for nobody. 

A fawn, a tire, your breath. 

You speak like drunken birds, walk joyfully like a sleepless child. 

A pylon, two shrews. 

You can’t remember another word for flower. 

The frame of a car, a wayside cross, the wind is dying down and yet the leaves begin to flutter. 

Clear-cut, empty bottle, the horizon disappears between your brand-new eyes. The world shrinks, you hold it in your hand; your heart is already lighter. The leaves in flight so little wind, hear.

Kepac, Gepe'g. The smell of stone. Kepe:k. Le cap, the cape, so high. Kephek, Kebec. No, no wind. Quebecq, Quebec (1). Voices that lift the leaves. 

*

There are three streets where you live; one of them bears your name. Here, they are many that twist and turn, impish as streams. Through their names they weave multicoloured stories:

“The Valiant Grasshoppers sat for a Rest on the heads of the Boletes, admiring Laurelou, Lady of the Diamonds, who danced the Pastourelle to the rhythms of Woodpecker, while their Friends, the Elms of Grand-Pré, walked to the 6th Dawn…”

The streets lose you, blur the outlines of your dreamscapes. Past present you say not important, because everything is shouting you say everything is shouting in me at the same time. So you hold your arms out to this strange, burlesque, tender city that throws open its walls to you. You huddle up to the city and surrender to its madness. 

Around you, tramps do cartwheels in judges’ robes. A pasty drag queen prays the rosary backwards, accompanied by a pack of large dogs. An orchestra of garbage collectors emerges from the bins, playing a baroque melody. National Assembly ministers nibble on dandelions in front of an audience of delighted children. Soldiers are decked out in their finest frilly dresses. To the tune of a giant beer burp, the crowd atones for all its sins, woes, acts of violence. Quebec returns to its origins.

Kepac, Gepe'g, Kepe:k, Kephek, Kebec, Quebecq, Quebec. Strait. Passage of memory.

Quebec, city of the stolen, the colonized, the disputed, the occupied, the burned, the expanded, the celebrated, the united, the alienated, the mythologized. 

Quebec, walled city, welcomes you with strong arms, you, the orphan of kilometres, king-vagabond, broken child. Do not look elsewhere for excess, a city is offering an embrace you can inhabit. 

Alycia Dufour

 

(1)  Author’s note: The spellings of the word Quebec in the present text are taken from the Commission de la toponymie du Québec website. They are respectively from Algonquin languages (Abenaki, Mi’gmaq, Innu) and from Old French. With no pretensions of exhaustivity, the author uses these variations to play poetically with the word throughout eras and languages, to pay tribute to the many voices who named this place and who made it what it is today. For more information:  « Québec », Commission de toponymie.

Artistes

Alycia Dufour, autrice (Instagram, site)

Béatrice Paradis-Lebel (Potit Pierrot), illustratrice, tatoueuse et artiste visuelle (Instagram)

 

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